Musique et moi

Lorsque j’étais encore en état de fœtus je devais certainement entendre des sons au travers de la paroi abdominale de ma mère et donc de la musique. Mais n’aboutissaient à mes oreilles que des fréquences atténuées, filtrées qu’elles étaient par les chaires isolantes, des fréquences graves principalement. Dans les premières années de ma vie j’entendais les chansons diffusées par la radio, celles aussi chantées ou fredonnées par mes parents. Ma mère aimait bien « baisse un peu l’abat-jour », « la petite église » ou plus tard « Ma cabane au Canada ». Pour m’endormir ou me calmer elle me chantait doucement la berceuse de Mozart assis sur ses genoux tout en logeant doucement mes petits doigts dans le coin de ses yeux. Mon père lui adorait « j’aime le son du cor », « les bœufs ». Le dimanche matin l’accordéon emplissait toute la maison. C’était joyeux. Mon père chantait ou sifflait tour à tour tout en se rasant en mesure avec le rasoir “Gilette Blue” à main. Plus tard, je m’en souviendrais en regardant la scène du barbier dans le « Dictateur » de Chaplin. Les chansons reflétaient parfois une grande tristesse mélancolique comme celles de Berthe Sylva, « Les roses blanches », mais parfois elles étaient gaies et entraînantes comme celles célébrant la libération.
Un jour, j’entendais à la radio une musique d’orchestre bizarre. A plat ventre sur l’assise d’une chaise je dis à ma mère que cette musique me faisait mal au ventre. En effet, elle engendrait chez moi des coliques qui tordaient mes boyaux. A moins que fortuitement mon mal de ventre fut antérieur. Je suppose que cette musique était du genre de celle composée par Debussy avec des accords autres que ceux engendrée par la musique tonale. Je pense à « La mer ».
A ce sujet lorsque mes parents se référaient à la chanson « La mer » ils précisaient toujours qu’il s’agissait de celle de Charles Trénet et non de la musique de Debussy. Parfois, je suppose que c’était lorsque nous habitions Bellay, nous allions rendre visite à ma tante Juju, la sœur de mon père à Montalieu. Elle possédait un poste de radio nouveau, moderne. Elle me laissait chercher les stations qui m’intéressaient. Un jour, je suis tombé sur une femme qui chantait d’une voix très aigüe, bientôt remplacée par une autre qui chantait de la même façon. Je les appelais des « couines », car elles semblaient couiner. Chaque fois que nous allions chez elle, je lui demandais de me laisser chercher les « couines » sur son poste. Mais j’étais déçu de ne pas les retrouver. Je ne comprenais pas pourquoi.A Belley , dans la classe de Monsieur Neyroud on apprenais des chants dont je me souviens encore : « La petite campanule » , « Se quento » « les crapauds », « le vieux Chalet ». Qu’ils étaient tristes ces chants. Je prenais pitié pour les crapauds qui étaient détestés par les hommes. J’éprouvais une grande empathie pour Jean, le propriétaire du vieux chalet qui s’écroula. Tels sont les musiques que j’entendais depuis un peu avant ma naissance jusqu’à notre arrivée à Combre où j’avais 8 ans environ.Dans ma nouvelle école, il n’existait qu’une seule classe où tous les élèves de tous les cours étaient rassemblés. Une jeune institutrice enseignait. Elle nous apprît une chanson qui venait de sortir, « Le petit cheval « ; Elle la fit écouter sur un disque 45 tours. Elle était chantée par Georges Brassens. Là encore, je me pris d’amitié pour ce pauvre petit cheval dont la fin m’attristait beaucoup.
De Georges Brassens, l’ami de mon père, Paul Lattat, nous fit écouter « le gorille ». Cette chanson lui plaisait beaucoup tant il jubilait. Elle devait signifier beaucoup de choses pour lui. Moi, je ne comprenais pas trop bien cette histoire qui me paraissait loufoque.
Parfois, au cours de veillées entre amis, les adultes écoutaient de l’accordéon. Ils parlaient beaucoup de André Verchurene.