Amplepuis

Amplepuis

Mes années Amplepuis

Par quels  moyens sommes nous arrivés à Amplepuis ? je ne la sais pas.  Nous avons emménagé dans l’appartement  de l’épicerie dont mes grands parents maternels, François et Marie-Louise Pothier , tous deux décédés, assuraient l’exploitation.

L’épicerie se présentait par une large devanture. A l’intérieur un immense comptoir derrière lequel se tenait ma mère. Au fond, une porte s’ouvrait sur la cuisine. Les chambres étaient me semble-t-il à l’étage. Nous avions une voisine qui avait un enfant en bas âge.

Une cliente très âgée était venue acheter du lait. Je me tenais derrière elle pendant qu’elle discutait avec ma mère. Elle était habillée tout en noir ou de gris comme la plupart des vieilles femmes de l’époque. Poussé par un élan de curiosité ou par une geine qui affleurait mes narines, je posais tout haut cette question : « Dis, maman, pourquoi la dame, elle sent mauvais ? » Surprise, ma mère s’excusa à ma place et lorsque la vieille dame fut partie m’informa de mon impolitesse et me dit qu’on ne devait pas faire des remarques sur les gens. Je ne sais pas si la cliente est revenue acheter son lait chez nous.

A propos de lait, j’entendis une fois une conversation où ma mère disait que certains marchands malhonnêtes ajoutaient de l’eau à leur lait afin d’en vendre une plus grande quantité. Elle refusait cette pratique. D’autant que ces épiciers peu scrupuleux pouvaient se faire prendre et payer une lourde amande ou même se voir interdits de vente.

Ma mère devait certainement de temps en temps garder le bébé de la voisine. Un jour, ce dernier, assis par terre dans la cuisine pendant que ma mère s’occupait  des clients au magasin, il avait fait dans sa couche et des matières fécales se répandaient sur le sol. Il les essuyait avec ses mains. Devant la catastrophe j’appelai ma mère qui vint rapidement pour réparer les dégâts.

All-focus

Mon père ne travaillait plus en pâtisserie. Il était devenu receveur aux autocars de la régie du Rhône . Il circulait dans l’allée du car et vendait les billets correspondant au voyage du client. Il éditait les billets avec une  une grosse machine qu’il portait en bandoulière. A l’aide de plusieurs molettes il réglait ce qui allait être imprimé sur le ticket : la date, la destination et le prix. Les molettes émettaient un cliquetis que je trouvais agréable. J’aimais beaucoup lorsque mon père me montrait sa machine. Je m’amusais à tourner les molettes dont le cliquetis me séduisait.

         

Quelquefois, un jeune homme habillé en militaire venait rendre visite à ma mère. C’était son frère André, beaucoup plus jeune qu’elle et aussi mon parrain.
 Lorsqu’il arrivait, il portait en bandoulière une grosse caisse en bois dans laquelle il rangeait ses vêtements. Ma mère s’occupait de son linge qui sentait la transpiration.
Il effectuait son service militaire en Allemagne.

Après la défaite de 1945, l’Allemagne et l’Autriche, d’une part, et les villes de Berlin et Vienne, d’autre part, sont divisées chacune en quatre zones d’occupation, réparties entre les quatre grands alliés : Union soviétique, Royaume-Uni, États-Unis et France.

J’allais à l’école maternelle Saint Charles. Des sœurs toutes habillées de noir s’occupaient parfois de nous. L’une d’entre elle, très sévère, nous gardait dans une salle. Comme mes camarades, j’étais assis à mon bureau au fond de la classe, je la voyais, elle était  toujours de mauvaise humeur. Elle m’effrayait. Un murmure apeuré s’élevait lorsqu’elle punissait un enfant. Elle réclamait le silence d’une voix forte et cassante. Parfois, pour récompenser une bonne conduite, elle donnait un bon point. Mais aussi elle en confisquait à celui qui n’avait pas obéi à ses injonctions disciplinaires. Lorsque nous possédions 10 bons points, nous avions droit à une image. Chaque fois que j’en obtenait une j’étais content et je l’admirais , je la trouvais jolie.
Les récréations se passaient dans la cour. Je ne me mêlais pas aux autres enfants, j’en avait peur. Ils me semblaient violents. Pour être protégés, avec ma cousine Marie-Claude, nous marchions avec notre maîtresse Madame Magnin de chaque côté, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche en lui tenant solidement son tablier pour qu’elle ne nous échappe pas.

Pour goûter ma mère me donnait une banane. Pour la manger, je m’isolais sous le préau. Je n’aimais pas l’odeur de ce fruit associé à l’odeur de la cour d’école.

A l’époque et jusque dans les années 60, il existait une véritable concurrence voire une guéguerre entre les écoles laïques et les écoles privées confessionnelles. Soit les enfants des deux écoles s’ignoraient complètement et n’avaient aucun contact, soit des bagarres éclataient comme, un peu dans la “guerre des boutons” relatant les conflits entre les enfants de deux écoles publiques de deux villages voisins. Les enfants de famille aisée fréquentaient plutôt l’école privée.

Un monsieur bien habillé se présenta au magasin avec une valise. Il montra à ma mère des photos qui avaient été prises à l’école.
 Malgré le prix important qu’il lui demandait, elle fut séduite et acheta la photo en choisissant un cadre de bois blanc.

 Je retrouvai cette photo encadrée de blanc dans mon grenier. Elle était légèrement éventrée, le cadre abîmé et laissait apparaître 3 ou 4 photos de garçons derrière la mienne. Pour consolider l’arrière du cadre, le photographe avait dû plaquer ces portraits invendus derrière le mien.

Parfois, la cousine de ma mère, « La Mamy » venait pour s’occuper de moi et m’emmener promener.
 A la suite d’une pluie intense, nous sommes partis par un chemin pentu et caillouteux.
 Après quelques grandes enjambées pour éviter  les flaques d’eau, nous sommes parvenus devant un étrange animal rouge et visqueux.
Sa laideur m’effrayait.
Je criais ma peur. « Ce n’est rien, c’est une limace ». Elle m’invita à la regarder de plus près, ce que je fis avec beaucoup de réticence, m’approchant, me reculant, me rapprochant.
Je serrais bien fort la main de Mamy. « On en fait de la liqueur en les mettant tremper dans une bouteille pleine d’alcool.
 Ça soigne les rhumatismes. »
Je trouvais cela bizarre.

Un après-midi, Mamy m’emmena pour ma première fois au cinéma.
On entra dans une salle pleine de fauteuils en bois, tous tournés face à une espèce de grand drap blanc.

La salle s’éteignit et apparu sur le drap des hommes et des femmes qui nous faisaient rire. L’un d’entre eux avait une drôle de voix. Il peignait des murs avec un pinceau. A un moment il chanta.
Après la séance je demandai où se trouvaient les dames et les messieurs. Mamy me répondit qu’ils étaient derrière le drap blanc. Mais comme je demandais à aller les voir, elle  m’affirma qu’ils étaient partis.

Elle me dit que le monsieur qui chantait « la rumba du pinceau » s’appelait Bourvil. J’ai retrouvé aujourd’hui, le titre de ce premier film :
« Par la fenêtre » de Gilles Grangier. Un film de 1948.

De temps en temps on allait chez mon oncle Claude qui avait repris la pâtisserie de mes grands parents avec sa femme Ninette.
Je jouais avec leur fille, ma cousine Marie-Claude dans la cuisine en présence de sa nourrice Alice.
La cuisine donnait sur une cour permettant d’allier au laboratoire, là où on fabriquait les gâteaux.
Une grande ouverture composée de nombreuses vitres éclairait parfaitement la cuisine. Dessous, s’étalaient une série de portes de placards que nous nous amusions à ouvrir et fermer. On jouait aussi à la dinette.
Pendant ce temps, ma tante Ninette vendait les gâteaux dans le magasin. Lorsqu’elle n’avait plus de clients, elle apparaissait dans la cuisine. 

Ma grand mère Brissot habitait une grande maison. Pour y accéder depuis la rue, il fallait emprunter des escaliers extérieurs qui aboutissaient sur une terrasse surplombant la rue. Une porte d’entrée vitrée séparait la terrasse d’un petit salon où gisaient deux  grands fauteuils l’un rouge et l’autre bleu. 

Jusqu’en 1949 l’achat de denrées alimentaires et notamment le pain était restreint.
Chaque personne suivant son âge et son métier avait droit à une certaine quantité de pain. Ce pain était la plupart du temps plus ou moins gris ou noir car fabriqué avec des mélanges (maïs, seigle, ….)
Un matin, ma mère entra toute joyeuse, un pain doré sous le bras. Elle en coupa une large tranche longitudinale dans la croûte, me le tendit pour que je le goûte. Comme c’était bon, je n’avais jamais mangé pareille produit. C’était chaud, craquant avec une saveur inoubliable.
C’était mon premier pain blanc.
 Ce fut peut-être à ce moment là la fin des tickets de rationnement.

 Ces tickets étaient imprimés sur des petites feuilles roses ou jaunes d’après mes souvenirs. Il fallait les découper avec des ciseaux et les donner au boulanger en échange du pain qu’on devait bien sûr payer.

Mes parents possédaient un poste de radio tout noir qu’ils avaient acheté à Amplepuis  fabriqué complètement par un artisan du coin. Ils l’on conservé pendant très longtemps, au moins pendant 10 ans puisqu’il était toujours en service lorsque nous habitions Sabatin à Thizy.
Ces postes de radio étaient assez volumineux. Ils fonctionnaient avec de grosses  lampes diodes qui chauffaient beaucoup. Parfois ces lampes grillaient et il fallait les remplacer . 

De cette boîte noire sortait des voix,   des chansons, de la musique. Elle  diffusait une ambiance particulière  parfois joyeuse mais souvent triste. Un jour j’écoutais une musique  sans paroles produite par des instruments de musique tels que plusieurs violons. Elle m’intriguait. Elle était bizarre et me troublait jusque dans mes entrailles. Pour faire passer ce désagrément je m’allongeais sur une chaise le buste contre son assise. Je disais à ma mère « cette musique me fait mal au ventre ».

Plus tard, j’essayais de trouver quel était ce genre de musique qui m’incommodait. Je pense que ce devait être soit celle de Debussy soit celle de Ravel dont les accords « dissonants » me troublaient.

La  Mamy ou ma mère chantaient une vieille chanson bizarre « Elle avait une jambe de bois …… ». Elle était  rigolote  et je demandais qu’on me la chante à nouveau . 
Je fus surpris beaucoup plus tard de découvrir cette mélodie dans le ballet  «Petrouchka » de Stravinski composé en 1910.Il l’avait empruntée après l’avoir entendue à plusieurs reprises sous sa fenêtre.



Parfois nous allions chez la « Marraine », la mère de la « Mamy » et marraine de ma mère.
Elle m’appelait « Baby » car je n’arrivais pas à prononcer le G de mon prénom. Elle m’imitait ainsi gentiment.
Elle possédait un appareil qui m’intriguait. Un récipient en faïence décoré de fleurs roses rempli d’eau. A son extrémité inférieure un petit robinet laissait couler l’eau dans une grande coupelle. Comme je demandais à quoi cela pouvait servir, elle me répondait que c’était un petit robinet comme le mien.
Chaque fois que j’allais chez elle, elle aimait me parler de mon “petit robinet”  ou de ma « bébête » Ca me faisait rire.

 Elle passait une grande partie sa journée à fabriquer des espèces de larges pansements rectangulaires et épais. Elle me disait qu’elle fabriquait des “pates à cul”. Je ne sus que bien plus  tard à quoi cela pouvait servir.

Nous étions sur la place de l’église, ma mère, la Mamy et moi. Toutes deux devaient certainement aller acheter quelque chose chez un commerçant. Apparemment, je ne pouvais pas les accompagner. Elles se sont interrogées sur la manière de se débarrasser de moi. Mamy suggéra de me confier à la marchande de parapluie dont le magasin occupait d’après mes souvenirs un coin de de l’église. Elles m’y emmenèrent. Je ne voulait pas rester tout seul avec cette dame que je ne connaissais pas. Je pense avoir pleuré. Elles sont parties toutes les deux. Je me suis senti abandonné pour la première fois.  J’avais peur qu’elles ne reviennent pas. 

Parfois, lorsque j’étais sur ses genoux, ma mère prenait mon petit indexe et mon petit majeur qu’elle enfonçait délicatement dans l’encoignure de ces yeux près de son nez. C’était doux et agréable. Je lui demandais souvent de recommencer.

Mon frère Gérard est né le 27 Août 1950 à la maternité d’Amplepuis. 
Je n’ai aucun souvenirs de sa naissance. J’avais cinq ans. Son arrivée avait certainement perturbé ma vie affective. 

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